par Henri Pirotte
L’objectif de cette ASBL, dont
l’action vise un public défavorisé sur le plan culturel et d’une certaine
manière « dominé » sur le plan social, est triple : la création, la diffusion et la formation.
1. La création
- Elle sera « collective » : expression de groupes constitués de personnes issues de milieux qui sont les destinataires des spectacles.
- Le but est de rendre visible une réalité vécue dans ces milieux afin de contribuer à rendre ceux-ci capables de l’appréhender et d’agir sur elle.
- Il s’agit donc de s’approprier sa propre vie, sa propre existence, pour les acteurs en la disant publiquement, pour les spectateurs en la voyant représentée.
Il n’est de science que du caché, a dit Bachelard ; peut-être
pourrait-on dire de même qu’il n’est d’art que du caché. Donner une
représentation de ce qu’on vit ne va pas de soi. La réalité est opaque, sans
parler des idéologies qui la masquent. On risque de ne rien trouver à dire, et
ne s’expriment souvent, au début du travail, que des banalités toutes faites,
superficielles.
Par des consignes, on arrive à inventer,
en partant de ce qu’on a vécu ou observé, des situations plus signifiantes mais
aussi plus impliquantes. On peut se heurter alors à des blocages, des
interdits, des peurs… qu’il faut dépasser. Comment ? Par la découverte
d’un enjeu. Qu’est-ce que j’ai à perdre ou à gagner en disant
publiquement ce que je dis ?
Quand quelqu’un parle, ce n’est
jamais en l’air, « comme ça »… c’est toujours à quelqu’un d’autre
qu’on parle. Le style, c’est l’homme… à
qui l’on s’adresse, dit Lacan, complétant ainsi l’assertion célèbre de
Chamfort. Alors bien-sûr, quand des personnes improvisent, ils ne savent pas
nécessairement à qui ils parlent. Au partenaire, apparemment. En réalité (et
dans la mesure où justement, l’improvisation s’inspire de/fait référence à des
situations vécues ou observées, à des expériences marquantes), à travers le partenaire, c’est à
d’autres qu’elles s’adressent, à des gens qu’elles connaissent, proches ou
moins proches, mais qui appartiennent à leur propre milieu, et c’est d’abord
par rapport à ces gens-là que peuvent apparaître de véritables enjeux.
Cependant la représentation
publique élargit la portée de ce qui paraissait des problèmes très personnels
par l’identification du public aux personnages et les analogies que
découvre chacun des spectateurs avec ce qu’il vit.
Et lorsque quelqu’un parle, tout
se passe comme si, à travers lui, d’autres parlaient également et comme si,
lorsqu’on s’adresse à quelqu’un, sans le savoir, ce n’est pas seulement à ce
quelqu’un mais aussi à d’autres que l’on parle.
Et d’une part, c’est dans
l’extrême particulier que l’on trouve l’universel, et, d’autre part, les
personnages un peu trop abstraits n’émeuvent personne, on ne peut être touché
que par des individus particuliers.
Il importe, dès le début du
travail, de faire découvrir à chacun à qui il s’adresse et de rendre ses enjeux
conscients.
2. La diffusion
Elle ne peut pas obéir à une simple logique marchande, mais il s’agit de mettre en présence un spectacle (produit par des personnes appartenant à un milieu social donné) et ses destinataires : un public qui appartient au même milieu social, avec les objectifs qui ont été donnés plus haut.
Cela implique un travail
important de recherche de lieux alternatifs et de nouveaux organisateurs. Les
Centres Culturels, même s’ils ont dans leurs fonctions de promouvoir la
création dans la population, préfèrent en général diffuser des spectacles
professionnels.
Dans cette recherche de lieux,
d’organisateurs et de publics, il faut impliquer autant que possible toutes
les personnes de l’atelier, pour qu’elles fassent appel à toutes leurs
relations.
3. La formation
Le travail en atelier a permis aux participants de produire des textes et de jouer. Ainsi, une parole venue d’en bas a pu émerger, si je puis dire, mais pour ce faire, il leur a fallu l’aide d’animateurs détenteurs d’un certain savoir et des institutions qui leur donnaient des moyens de créer.
Il nous semble logique de vouloir
aller plus loin et de faire en sorte que certains, en particulier ceux qui ont
déjà participé à plusieurs créations, puissent acquérir un certain savoir qui
leur permette :
a) Soit d’assumer la création d’un
spectacle avec un groupe et donc…
- d’analyser
- d’inventer des consignes
- de construire
- de mettre en scène
- etc.
b) Soit de créer et de gérer un
groupe…
- organisation de représentations
- reconnaissance de l’association
- recherche de partenaires
- élaboration de projets
- publicité
- etc.
Cette formation se ferait par
accompagnement sur des projets concrets. Il s’agit d’apprendre en faisant les
choses. Ne pas faire pour faire, apprendre pour apprendre, mais avec des
objectifs et dans une direction donnée.
La constitution de l’ASBL est
déjà un projet. Le groupe qui la constitue est en quelque sorte un atelier qui
apprend à créer et à gérer sa propre institution.
Henri Pirotte